Juanita est une momie inca découverte presque intact en 1995. On peut l’observer au musée Museo Santuarios Andinos d’Arequipa. Lisons le plus fameux enfant de cette ville, Mario Vargas Llosa en dresser le portrait.
“Cette enfant a été sacrifiée à l’Apu (le dieu) Ampato, au sommet du volcan, afin d’apaiser sa virulence et d’implorer la prospérité pour les colonies de peuplement incas de la région. Six heures exactement avant son exécution, on lui a donné à manger un plat de légumes frais. Une équipe de biologistes s’active à en retrouver la recette précise. Elle n’est morte ni égorgée, ni étouffée. C’est un habile coup de bâton à la tempe droite qui a mis fin à ses jours. “Si parfaitement exécuté qu’elle n’a pas dû ressentir la moindre douleur” m’a assuré le docteur José Antonio Chávez, qui a codirigé avec Reinhard une nouvelle expédition sur les volcans des environs. Ils y ont retrouvé les tombes de deux autres enfants, eux aussi sacrifiés à la voracité des Apus andins.
Après avoir été choisie comme victime propitiatoire, Juanita fut probablement entourée d’honneurs et promenée dans les Andes – peut être même conduite à Cuzco et présentée à l’Inca, avant de monter en procession rituelle, depuis la vallée du Colca, suivie de lamas richement parés, de musiciens et danseurs, et de centaines de dévots, le long de l’abrupt versant de l’Ampato, jusqu’au bord du cratère, où se trouvait la plate-forme des sacrifices. Juanita fut-elle en proie à la peur, à la panique, dans ces moments ultimes? A en juger par la sérénité absolue inscrite sur son délicat visage de momie, par la tranquille arrogance avec laquelle elle reçoit les regards de ses innombrables visiteurs, il semblerait que non. Peut-être a-t-elle accepté avec résignation, voire avec joie, cette formalité brutale de quelques courtes secondes qui la faisait passer, devenue elle même une déesse, dans le monde des dieux andins?
Elle fut enterrée somptueusement vêtue, la tête coiffée d’un arc-en-ciel de plumes tressées, le corps couvert de trois couches de robes en alpaga finement tissé, les pieds dans de légères sandales de cuir. Des broches d’argent, des timbales gravées, un pot de chicha, une écuelle de maïs, un petit lama de métal, ainsi que divers autres objets de culte ou domestiques – tous récupérés intacts – l’accompagnèrent dans son sommeil séculaire, près de la bouche du volcan. Jusqu’à cet accidentel réchauffement de la calotte glaciaire de l’Ampato qui fit fondre les parois protégeant son repos et la jeta, pour ainsi dire, dans les bras de John Reinhard et Miguel Zárate.
Et la voici maintenant dans une simple maisonnette de la paisible ville où je suis né – Arequipa, à l’orée d’une nouvelle étape de sa vie, qui durera peut être, elle aussi, cinq cents ans. Enfermée dans sa châsse électronique, préservée de l’anéantissement par un froid polaire, elle témoigne – tout dépend des lunettes que l’on chausse – de la richesse cérémonielle et des mystérieuses croyances d’une civilisation disparue, ou de l’infinie cruauté avec laquelle la stupidité conjurait (et conjure encore) ses peurs.”
(texte extrait de Mario Vargas Llosa, Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine, Plon, 2005 – traduction d’Albert Bensoussan)
Informations pratiques
Adresse: Museo Santuarios Andinos. Calle La Merced 110, Arequipa, Pérou.
Horaires: Du lundi au samedi: 09:00 – 18:00 h. Dimanche: 09:00 – 15:00 h.
Prix: 20.00 soles pour les adultes. 10 soles pour les enfants et les étudiants étrangers.
Plan d’accès:
C:est fascinant mais quelle cruaute sans bornes. Je ne cesse de penser a la petite fille si soigneusement preservee.
Si la jeune Juanita a été tué à coup de bâton sur la tempe, alors les 2 autres enfants probablement aussi, mais sont ils morts nourris et aussi bien habillés ? non ? alors cela voudrait dire que Juanita était peut-être une personne importante pour le peuple et pas juste une enfant sacrifiée pour le bien de la tribue comme les 2 autres enfants retrouvés, peut-être finalement n’était elle pas si ordinaire et sans importance mais peut-être bien la plus importante du peuple et peut-être est-ce pour sa qu’ils ne l’ont pas tués avec douleur et méchanceté, pour être remercié ensuite par elle, devenue déesse et morte avec beaucoup d’apesance..
Moi, je me contente de savoir ce qui s’est écrit sur le sujet et ne laisse pas mon exprit vagabonder dans toutes sortes d’hypothèses. De toutes façons, l”événement est lointain et on ne pourra jamaismynchanger quoi que ce soit!
La mort est toujours infecte. Ceux qui en font quelque chose en la rendant belle à leurs propres yeux voire à ceux d’autrui, en la croyant utile aux autres voire à eux-mêmes, sans y entraîner d’innocents, n’ont pas la pire des morts.
Si tel a été le cas de Juanita, la vue de cette jeune fille peut ne pas provoquer la pitié mais plus simplement une émotion profonde devant un destin humain si loin et si proche, si fragile et si tenace, la présence sensible et simultanée en ce jeune corps momifié de la vie et de la mort.
L’an dernier, lors de mon voyage au Pérou, j ai pu me reccueillir sur la tombe de verre de Juanita et j’en ai éprouvé autant de peine que si elle était morte la veille. Pauvre enfant, ou plutôt pauvres enfants sacrifiés au nom de croyances ! Les sacrifices humains relèvent de la barbarie et je les condamme. Qu’on laisse maintenant cet enfant reposer en paix !
N’est-ce pas incroyable de voir que cette jeune fille est décédée si tôt et est cependant toujours vivante d’une certaine manière ? Elle est à la fois morte trop jeune et éternelle. J’y vois une certaine beauté, une certaine poésie. Par ailleurs, comment et pourquoi juger les sacrifices menés par ce peuple à cette époque ? Si ces actes ne répondent plus à notre rationalité, ils répondaient pourtant à la leur. Je ne sais donc pas s’il est pertinent de regarder cette jeune fille au prisme de notre contemporanéité, jugeant l’acte “barbare” ou “condamnable”. Faudrait-il plutôt essayer de comprendre les enjeux qu’il y avait en aval. N’oublions pas que cette civilisation était très avancée, et avait sûrement beaucoup à nous apprendre…