Malgré plusieurs siècles d’histoire et un métissage généralisé, une grande fracture divise toujours le Pérou : le monde andin d’ascendance indienne d’un côté, et l’élite créole blanche de l’autre. Cette fracture fut longtemps encore plus profonde. Les paysans andins vivaient loin des grandes villes et n’avaient finalement que peu de contacts avec la société créole. Cette dernière vivait en vase clos, et connaissait mieux la dernière mode parisienne que les Andes. La remise en cause de ce système vint de ce qu’on appela l’indigénisme: une curiosité inédite de l’élite pour le monde andin ; une revalorisation de ce qui était considéré comme une culture arriérée: la première étape de la construction fragile d’une véritable nation métisse moderne. L’indigénisme allait irriguer tous les arts: photographie, littérature, musique, et peinture avec le pionnier José Sabogal (1888-1956).
Métisse originaire de la région de Cajamarca, il n’est pas surprenant compte-tenu de l’époque, que sa curiosité pour le monde andin soit apparue à la suite de ses nombreux voyages à l’étranger. Dans sa jeunesse, il parcouru l’Europe et l’Afrique du Nord, puis voyagea en Amérique, notamment au Mexique et en Argentine. Il y découvrit l’œuvre de ses contemporains Jorge Bermúdez et Diego Riveira.
José Sabogal commença à peindre les Indiens à la suite d’un voyage à Cusco qui donna lieu à une exposition fondatrice pour l’indigénisme en 1919 “Impresiones del Ccoscco”. C’était rien que moins la première fois qu’une exposition avait pour thème la société andine. Si José Sabogal peignit également la société créole, le monde andin resta jusqu’à la fin de sa vie son thème de prédilection avec des paysages et surtout de magnifiques portraits. Surnommé à ses débuts avec mépris “le peintre des Indiens”, il fit peu à peu bouger les lignes jusqu’à devenir le chef de fil d’une génération indigéniste (Camilo Blas, Enrique Camino Brent…). Il multiplia les engagements : professeur puis directeur de l’Escuela Nacional de Bellas Artes del Perú, directeur artistique de la revue Amauta, fondateur de l’Instituto Libre de Arte Peruano: il fut ainsi un des plus formidable défenseur d’un art authentiquement péruvien.