Les rythmes noirs du Pérou de Nicomedes Santa Cruz

Nicomedes_Santa_Cruz

Moins visibles qu’à Cuba, qu’en Colombie ou qu’au Brésil, les Noirs ont pourtant laissé un formidable héritage au Pérou. Dès les premières années de la conquête espagnole, dans les plantations, les haciendas, et au fond des mines, la Vice-royauté du Pérou s’est construite sur l’exploitation des esclaves africains. Au XIXème siècle encore, avant que les Européens ne migrent en masse pour fuir la misère du vieux continent, Lima était composée pour moitié d’afro-péruviens. Peu à peu marginalisée et au bord de l’extinction, la culture afro-péruvienne connut un formidable revival dans les années 1950 porté par le poète, chanteur et musicien Nicomedes Santa Cruz.

Je vous présente ici une traduction d’une de ses plus fameux décimas (poème de strophes de dix vers), qui rappelle la traite négrière au Pérou.

 

Traduction de Ritmos negros del Perú

Rythmes de l’esclavage
Contre l’amertume et les peines
Au son des chaînes
Les rythmes noirs du Pérou

D’Afrique vint ma grand-mère
Vêtue de coquillages
Les Espagnols l’emmenèrent
Dans une caravelle
Ils l’ont marqué avec une bougie
La carimba fut sa croix
Et en Amérique du Sud
Au battement de ses douleurs
Les tambours noirs donnèrent
Les rythmes de l’esclavage

Pour une pièce seulement
Ils la revendirent à Lima
A la ferme de La Molina
Elle servit des Espagnols
Et avec d’autres Noirs d’Angola
Elle gagna pour son labeur
Des moustiques pour ses veines
Pour dormir, le sol dur
Et rien comme réconfort
Contre l’amertume et les peines

Dans la plantation de cannes à sucre
Est né le triste sacavón
Dans le trapiche de rhum
Le Noir a chanté la Zaña
La machette et la faux
Tannèrent ses mains noires
et les Indiens avec leurs quenas
le Noir avec son tamborete
ont chanté leur triste sort
Au son des chaînes

Les vieux Noirs sont morts
mais entre les cannes sèches
On écoute leur zamacueca
Et le panalivio lointain
Et on écoute les festejos
Qu’on chanta dans leur jeunesse
De Cañete à Tombouctou
De Chancay au Mozambique
Ils apportent leurs tambourinements clairs
Les rythmes noirs du Pérou

Ritmos de la esclavitud
Contra amarguras y penas.
Al compás de las cadenas
Ritmos negros del Perú.

De África llegó mi abuela
vestida con caracoles,
la trajeron lo` epañoles
en un barco carabela.
La marcaron con candela,
la carimba fue su cruz.
Y en América del Sur
al golpe de sus dolores
dieron los negros tambores
ritmos de la esclavitud

Por una moneda sola
la revendieron en Lima
y en la Hacienda “La Molina”
sirvió a la gente española.
Con otros negros de Angola
ganaron por sus faenas
zancudos para sus venas
para dormir duro suelo
y naíta`e consuelo
contra amarguras y penas…

En la plantación de caña
nació el triste socavón,
en el trapiche de ron
el negro cantó la zaña.
El machete y la guadaña
curtió sus manos morenas;
y los indios con sus quenas
y el negro con tamborete
cantaron su triste suerte
al compás de las cadenas.

Murieron los negros viejos
pero entre la caña seca
se escucha su zamacueca
y el panalivio muy lejos.
Y se escuchan los festejos
que cantó en su juventud.
De Cañete a Tombuctú,
De Chancay a Mozambique
llevan sus claros repiques
ritmos negros del Perú.

 

 

Définitions:

  • quenas: flûte amérindienne.
  • carimba: marque apposée sur les esclaves au fer rouge
  • sacavón, zamacueca, zaña, panalivio, festejos : danses et musiques afro-péruviennes
  • Cañete, Chancay: villes coloniales où étaient installées de nombreuses plantations
  • tamborete: instrument de musique afro-péruvien

 

 

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